Victoire au tribunal pour l’association de détenus AF3DF !

En 2023 une grève, menée par une majorité des détenus, ayant pour objectif de dénoncer les mauvaises conditions de détention au sein Bellechasse a été organisée. En particulier, une assemblée générale s’est tenue au sein de l’établissement. De cette assemblée a découlé un cahier de doléances de 17 pages, transmis à la direction de l’établissement, qui faisait état de multiples dysfonctionnements au sein de la prison, notamment en matière de restrictions des droits fondamentaux.

L’assemblée des détenus dénonçait en particulier le manque d’accès aux soins médicaux ainsi que des événements qui s’assimilaient à de la torture psychologique au sein de l’établissement de Bellechasse. Par la suite, un extrait du cahier de doléance a été publié sur le site de l’association Aide Fribourgeoise de Défense des Détenus et leurs Familles (AF3DF).

En réponse à ce cahier de doléances, l’établissement pénitentiaire a intenté une action civile en protection de la personnalité contre l’AF3FD et a porté plainte en diffamation contre l’un des détenus ainsi que contre l’association.

Des procédures-baillons  
Ces procédures ont pour simple but de dissuader les détenus à faire valoir leur droits. En effet, la menace de poursuites judiciaires pèse lourd sur les détenus, pour lesquels l’accès à la justice est par ailleurs généralement difficile car les procédures sont extrêmement couteuses et complexes à naviguer, et crée ainsi un effet dissuasif. Cette situation choque, car lorsqu’il existe des allégations suffisantes qui laissent présumer de mauvais traitements et autres dysfonctionnements dans l’une de ses institutions, l’Etat a une obligation positive de mener une enquête. Au lieu de considérer les revendications des détenus à leur juste mesure et d’y donner suite en s’engageant à améliorer les conditions de détention, la prison de Bellechasse a choisi de criminaliser les détenus et a tenté de faire disparaitre certaines parties du cahier de doléances produit. L’approche de cette institution est ainsi particulièrement problématique au regard des principes fondamentaux de l’Etat de droit et des obligations des organes de l’Etat.

L’enjeu de l’audience du 23 septembre 2025
L’établissement de Bellechasse demandait la suppression de certaines phrases ou la reformulation du cahier de doléances publié sur le site internet de l’association. S’il avait gagné le procès, les frais de justice dont l’association aurait dû s’aquitter l’aurait conduit inéluctablement à la faillite, la contraignant à fermer son site et à enterrer le cahier de doléances. La Présidente du tribunal a elle-même parlé de la menace de fermer le site internet. L’enjeu de cette audience était ainsi bien plus important que la simple reformulation de quelques phrases du cahier de doléances ; il s’agissait en réalité de savoir si une institution pénitentiaire pouvait intenter des procédures baillon afin de silencier les revendications des détenus, avec pour conséquences la mise en faillite d’une association ayant pour objectif de faire valoir les droits fondamentaux des détenus et de leurs proches.Le directeur de la prisons de Bellechasse était présent ce matin au Tribunal du lac à Morat, accompagné de l’avocate de l’institution. Leur stratégie a consisté à réduire le cahier de doléance à un simple coup de gueule d’un détenu ou à un “appel à l’émeute”, à répéter que les certains termes du cahier de doléances “dépassaient les limites” ou “n’étaient pas ok”. De plus, bien que l’institution ait contesté en bloc les allégués de l’association, elle n’a pas apporté de preuves précises permettant d’infirmer les témoignages des détenus, renforçant le caractère purement répressif de leur démarche.

De son côté, l’association a pu faire remarquer au tribunal que les témoignages et revendications des détenus étaient similaires aux constatations et recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT/Inf (2025) 01, Strasbourg 2025 ; CPT/Inf (2016) 18, Strasbourg 2016) et de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT, Gesamtbericht über die schweizweite Überprüfung der Gesundheitsversorgung im Freiheitsentzug durch die Nationale Kommission zur Verhütung von Folter 2019 – 2021, Berne 2022). L’association ne pouvait dès lors pas se contenter d’un accord à l’amiable – consistant en une modification du cahier de doléances en cas de retrait de plainte – comme l’aurait souhaité le tribunal dans un premier temps. Pour les défendants, en l’absence de réactions appropriée de l’établissement aux doléances des détenus, telle qu’une procédure d’audit menée à la lumière des recommandations des organes de contrôle nationaux et internationaux et en respect des droits fondamentaux, ils ne pouvaient accepter de modifier le cahier de doléances publié. Les détenus ont en effet fait un usage légitime de leur liberté d’expression et de leurs droits.

Au terme de l’audience, la prison a tout de même décidé d’abandonner les poursuites judiciaires afin d’éviter une décision de justice, ce qui témoigne du bien fondé de la contestation.

L’association en sort donc indemne et pourra continuer à défendre les intérêts des personnes détenues.

L’association AF3DF espère que cette première victoire encourage les détenus et leurs proches à faire valoir leurs droits malgré les entraves et les tentatives de silenciation des organes de l’État.

Force aux mouvements de détenus !