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Quand migration rime avec détention et expulsion
Initiallement paru sur www.renverse.co
À Genève, une cinquantaine de personnes sont actuellement en détention administrative pour l’unique raison qu’elles se sont vues refuser une autorisation de séjour sur le territoire suisse. C’est le cas de R, tunisien, débouté, arrêté en octobre alors qu’il sortait de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) où il allait renouveler son papier blanc lui permettant d’obtenir « l’aide d’urgence ». Attiré par le mythe d’une Europe des « droits humains » et de la prospérité pour tou.te.s, R s’est au contraire trouvé face à une politique migratoire qui considère les êtres humains comme des numéros à gérer, trier, renvoyer…
Alors que l’on s’émeut des morts tragiques de migrant.e.s parsemant les routes de l’exil, faut-il rappeler les milliards investis non dans l’accueil, mais dans la répression et la construction d’une forteresse aux frontières infranchissable ?
De l’accueil entre détention administrative et renvoi
L’exemple du parcours de R qui cherchait l’asile en Suisse.
R est un homme tunisien vivant depuis plus de dix ans en Europe et qui en 2015 s’est engagé dans la lutte contre l’hébergement des requérants d’asile en abri PCi à Genève. Aujourd’hui il est emprisonné, condamné à trois mois de détention administrative, dans l’attente de son expulsion. Il a été arrêté en octobre dernier alors qu’il sortait de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) où, comme tous les 15 jours, il allait renouveler son papier blanc lui permettant d’obtenir « l’aide d’urgence ».
L’emprisonnement administratif peut durer jusqu’à 18 mois et se termine régulièrement par une expulsion, souvent assorti d’un vol spécial. À Genève, une cinquantaine de personnes sont actuellement emprisonnées aux centres de la Favra et de Frambois – et 168 places sont prévues sur le site de Champ-Dollon – pour l’unique raison qu’elles se sont vues refuser une autorisation de séjour sur le territoire suisse. La détention administrative les punit pour ce qu’elles sont, à savoir des personnes en exil cherchant refuge et un avenir meilleur en Suisse.
Des collusions indécentes entre Hospice et police
Débouté, R recevait l’aide d’urgence, soit 300.- mensuels, associés à une interdiction de travail, qui rendent impossible la vie en Suisse.
L’aide d’urgence, comme l’aide sociale, relève de la compétence de l’Hospice général. Pour la percevoir, les personnes en exil sont contraintes de pointer régulièrement à l’OCPM. Or, on assiste de manière récurrente à des arrestations à la sortie de cet office ou sur le trajet de retour, sous dénonciation des employés. Par une telle collusion entre social et police, l’aide sociale devient un véritable moyen de contrôle et de contrainte. L’OCPM étant à la fois le passage obligé pour obtenir de quoi survivre et le lieu choisi pour la répression.
R a trop longtemps été logé dans des conditions inacceptables. Pour avoir accès à des conditions de vie décentes et un minimum d’intimité – comme par exemple, dormir une nuit dans une chambre individuelle avec fenêtre, prendre une douche chaude en toute tranquillité ou cuisiner un repas avec des ami.e.s – R dort de temps à autre chez des proches. Mais si l’on ne se rend pas pendant 72 heures dans le logement assigné par l’Hospice, on est déclaré « disparu.e » aux autorités cantonales et perd les maigres droits accordés par le système de l’asile. Cette autre forme de contrôle rappelle que si des arrestations ont lieu lors du passage obligé à l’OCPM, elles s’effectuent également pendant le sommeil, dans les lits de l’Hospice général. Cette institution « d’action sociale » construit des dispositifs coercitifs en collaboration avec les politiques répressives d’Etat. Cela contribue à rompre irrémédiablement tout lien de confiance, poussant ainsi les personnes en exil à rentrer dans la clandestinité.
Le système migratoire suisse : une machine qui broie des vies
R a été attiré par le mythe d’une Europe des « droits humains » et de la prospérité pour toutes. Venant d’un pays « à risque migratoire élevé », il n’a pu voyager et rejoindre l’Europe légalement. Comme beaucoup d’autres, il lui a fallu prendre la mer clandestinement, au péril de sa vie. Il cherchait juste un avenir meilleur. Que peut nous importer s’il fuyait une guerre, une dictature, un pays dévasté par l’extraction de matières premières, la misère ou des problèmes personnels ? Tout le monde sait ce qu’il coûte de quitter son environnement, ses proches, ses repères pour aller dans un pays dont on ne connaît rien.
Arrivé en Suisse, R n’a pas pu raconter sa véritable histoire ni montrer ses papiers, car cela lui aurait valu un renvoi immédiat. Il n’a pu toucher aux miettes de cette prospérité, ni apercevoir l’ombre des « droits humains ». Au contraire, il a été mis face à l’interdiction de travailler, face aux logements délabrés, face aux visages glacés de l’administration (SEM, OCPM, Hospice général, police) et parfois même ceux du corps médical. Il a été forcé de vivre dans les sous-sols des bunkers à 30 par dortoir, sans air ni lumière du jour, soumis aux fouilles, aux contrôles et aux vexations permanentes. Face à ces conditions de vie et au mépris affiché par l’Hospice général dont il dépend, R ne s’est jamais senti considéré comme un être humain.
Cette politique migratoire considère les êtres humains comme des numéros à gérer, trier, renvoyer. Cette politique migratoire produit et cautionne leur mise à mort.
Le statut de réfugié : un trophée réservé à une minorité
Face à une demande d’asile, la première préoccupation des autorités est de prouver que le ou la requérante est passée par un autre pays d’Europe pour l’y renvoyer sous couvert des accords de Dublin. La deuxième étape consiste à démontrer que sa demande n’est pas justifiée ou qu’elle provient d’un pays où l’on ne risque pas de « vraies persécutions ». La misère, créée par des pratiques coloniales, n’étant évidemment jamais prise en considération. Et ceci sachant que le droit à l’asile fluctue au gré des relations diplomatiques et économiques*, qui permettent par exemple d’apposer ou d’enlever le terme guerre sur tel conflit ou le qualificatif de dictature sur tel régime ; considérations qui changent parfois du jour au lendemain.
Vrai ou faux, comment faire le jeu des discours xénophobes
Alors que l’on s’émeut des morts tragiques de migrant.e.s parsemant les routes de l’exil, faut-il rappeler les milliards investis non dans l’accueil, mais dans la construction d’une forteresse aux frontières infranchissables** ? Là où passent et repassent en toute sécurité les marchandises et les détenteurs du bon passeport – pour des vacances balnéaires, des séjours d’affaires ou des études universitaires – des êtres humains en possession du « mauvais » statut socio-économique et de la « mauvaise » nationalité, se fracassent contre des murs ou disparaissent.
On défend quelques « vraies » personnes réfugiées que l’on oppose aux « fausses » qui viendraient pour des « raisons économiques », en feignant d’oublier la responsabilité de cette même Europe qui pille et exploite les ressources de leur pays et qui bien souvent se retrouve liée de près ou de loin aux causes des conflits existants. Comme si les « motifs économiques » n’étaient pas politiques ni une violence infligée par des privilèges. Méfions-nous des divisions artificielles sur qui aurait la légitimité de séjourner sur le continent européen.
Stop aux collusions entre social et police
Stop aux arrestations à l’OCPM et dans les foyers
Stop aux bunkers, aux prisons et aux renvois
Liberté pour R et toutes les personnes incarcérées
Collectif Sans Retour
10 November 2017
* En 2012 la Suisse a signé un partenariat avec la Tunisie, “qui prévoit la réadmission des requérants d’asile déboutés en échange d’une série de mesures d’aide au développement socio-économique du pays”. https://asile.ch/2016/01/20/swissinfo-ch-le-statut-de-pays-sur-nimplique-pas-forcement-un-renvoi-de-migrants/
** À Genève, par exemple, plusieurs millions servent déjà à la répression des personnes en exil et 63 millions sont actuellement prévus d’être investis dans la construction d’un centre fédéral de renvoi au Grand-Saconnex.
Pas de centre fédéral au Grand-Saconnex ni ailleurs
Initallement paru sur www.renverse.co
Au Grand-Saconnex, collé au tarmac de l’aéroport de Genève, se trouve actuellement le foyer pour réfugiéEs, familles et personnes seules, des Tilleuls. Ce dernier devrait être détruit dans les prochains mois en vue de la construction d’un grand complexe comprenant un Centre Fédéral de renvoi pour requérantEs d’asile de 250 places, une prison de détention administrative de 50 places, ainsi qu’un service de police et de douane.
Derrière “l’accélération des procédures” de la nouvelle politique d’asile suisse censée être mise en oeuvre dès le 1er janvier 2019, se cache en réalité la volonté de criminaliser, d’incarcérer, de faire taire, pour finalement renvoyer des personnes dont le seul délit est d’avoir fui les guerres ou la pauvreté.
Ce Centre fédéral de renvoi est le symbole même d’une politique raciste de non-hospitalité qui se durcit de plus en plus, montrant bien l’injustice et la violence du système d’asile suisse.
CENTRE FÉDÉRAL : UN ACCUEIL CARCÉRAL
Le centre est conçu comme un gigantesque centre de renvoi : une seule entrée, des cellules d’isolement et un accès direct au tarmac. L’emplacement choisi par les autorités ne ment pas.
Genève deviendra la plaque tournante des expulsions en Suisse romande, perpétuant ainsi des pratiques inhumaines déjà critiquées par la Commission fédérale contre le racisme.
Comment en effet mieux “accueillir” des personnes requérantEs d’asile déboutéEs que dans un univers carcéral ? Une discipline infantilisante et arbitraire : annonce obligatoire en entrant et en sortant, fouilles, punitions, prise d’empreintes digitales, impossibilité de conserver des denrées alimentaires et de cuisiner. Une “aide” d’urgence dérisoire qui ne sert qu’à maintenir les personnes requérantEs à disposition de la police en vue de leur renvoi. Et comme pour les détenuEs, des travaux d’intérêts généraux payés 3.75 CHF de l’heure.
Tout est également prévu pour que les requérantEs ne se mélangent pas au reste de la population. Des horaires restrictifs (9h-17h en semaine) empêchent le travail et la vie sociale à l’extérieur. Enfin, les enfants seront scolarisés à l’intérieur même du centre, les coupant des autres enfants et les privant d’une vie normale.
DETENTENTION ADMINISTRATIVE : SILENCE, ON ENFERME, ON EXPULSE
La détention administrative permet aux autorités d’enfermer jusqu’à 18 mois des personnes étrangères au seul motif qu’elles n’ont pas les bons papiers. Pas besoin d’avoir commis un délit pour se retrouver derrière les barreaux.
A Genève, il existe aujourd’hui trois prisons dédiées à cette pratique : La Favra, Frambois et le Service asile et rapatriement à l’aéroport (SARA). Ces prisons de détention administrative devraient être remplacées dans les prochaines années par La Brenaz (168 places) et par la prison jouxtant le Centre fédéral du Grand-Saconnex (50 places).
Alors qu’à Genève cette pratique n’existait quasiment pas il y a 20 ans, le canton comptera bientôt plus de 218 places d’enfermement pour personnes migrantes. Une augmentation exponentielle, signe d’une politique migratoire raciste de plus en plus violente et décomplexée.
UN PROJET SYMBOLE D’UNE POLITIQUE RACISTE
Cette politique d’exclusion violente, qui vise clairement les personnes originaires de pays extra-européens, ne peut être qualifiée d’autre chose que d’une politique raciste. Les autorités fédérales, le canton de Genève et la commune du Grand-Saconnex, en prenant part à cette infamie, ne laisse d’autre choix à la population que de s’organiser pour faire front et résister avec les personnes concernées.
LEXIQUE
“RequérantEs d’asile déboutéEs” : Personnes dont la demande d’asile a été refusée (décision négative ou non-entrée en matière). Elles sont dès lors condisérées comme “illégales” sur le territoire par les autorités et les lois racistes suisses. Personne ne devrait être illégale.
“Détention administrative” : Enfermement d’une personne pendant que les autorités a) vérifient son identité ou b) organisent son renvoi du territoire suisse. La personne détenue est ainsi considérée comme un sujet criminel et traitée de la sorte.
QUE FAIRE ?
Ne pas soutenir les politiques étatiques racistes c’est notamment :
- S’informer sur asile.ch et renverse.co
- Etre solidaire et soutenir les personnes en exil par un maximum d’initiatives et d’actions.
- En parler autour de vous et soutenir les actions de Perce-Frontières. Envoyez-votre un mail à perce-frontières@noborders.ch pour être tenu au courant des prochains évènements.
NO PRISONS FOR MIGRANTS
Vers la fin de la détention administrative ?
Initiallement paru sur www.renverse.co
Avec l’impossibilité d’expulser, Genève libère les personnes enfermées dans ses centres de détentions. Toutefois, les personnes retenues ayant été infectée par le virus covid-19 se voient incarcérées dans la prison surpeuplée de Champ-Dollon. Qu’en sera-t-il de la détention administrative après le virus ? Plus jamais ça !
L’illégalité de la détention administrative en période de covid-19,
Alors que le Conseiller d’Etat en charge de la sécurité, Monsieur POGGIA, annonçait par voie de presse le vendredi 20 mars que : “nous [le Conseil d’État] avons en particulier décidé que pour tout ce qui est de la détention administrative, de faire en sorte que celle-ci ne soit pas maintenue s’il n’y a pas à vue humaine une possibilité de renvoi dans le pays d’origine de la personne, à brève échéance. Ce qui est le cas de la très grande majorité des personnes qui étaient actuellement retenues dans les prisons administratives, ce qui écarte le risque de la transmission de la maladie pour ce type de population. [1]”
Nous ne pouvions alors que commencer par nous réjouir. En effet, depuis des années, nombreuses sont les associations, partis et collectifs qui dénoncent fermement l’existence de ces prisons administratives. En deux mots, la détention administrative c’est lorsque l’Etat enferme une personne en vue de son renvoi. Cet enfermement carcéral n’a rien à voir avec le domaine pénal car aucune infraction n’a été commise par les personnes enfermées; l’Etat les enferme dans ces prisons en attendant de les expulser, souvent dans la violence meurtrière connue des vols spéciaux [2]. La détention administrative peut durer jusqu’à 18 mois.
Il ne s’agit pas ici d’acclamer Poggia qui en ce sens a simplement appliqué la loi qui rend nulle la détention administrative lorsque le renvoi n’est pas exécutable et au vu de la situation sanitaire générale, l’Etat ne peut procéder à aucun renvoi et donc la détention devient illégale. Ces mesures vidant les centres de détention administrative sont par ailleurs appliquées dans les autres cantons suisses qui en ont et dans différentes villes françaises (en tout cas).
Les centres genevois de détention administrative (Frambois et Favra) sont donc désormais vides!
Des innocents malades placés à Champ-Dollon pour être isolés
MAIS la Tribune de Genève dans son article du lundi 23 mars nous apprenait que certaines personnes qui se trouvaient dans ces centres avaient contracté le covid-19. Qu’a fait l’Etat? Alors qu’il aurait dû libérer les personnes et envoyer celles qui nécessitaient des soins à l’hôpital afin qu’elles puissent être soignées, elles ont été envoyées à Champ-Dollon (qui rappelons-le est une prison pénale surpeuplée, connue pour être une des pires prisons d’Europe).
L’ONU, des associations d’avocat.e.s, des associations pour les droits humains et des collectifs se mobilisent partout dans le monde (!) pour exiger le désengorgement des prisons en ce moment de crise en libérant conditionnellement — disposition prévue par la loi —, en assignant à résidence, en imposant le bracelet électronique, en accordant grâce ou aministie. Au lieu de ça, l’Etat genevois place des personnes malades qui étaient sous son joug pour AUCUN motif pénal dans des cellules isolées à Champ-Dollon.
La violence d’un tel acte, en plus d’être totalement irraisonnable est sans précédent. Irraisonnable parce que bien que l’article nous apprenne que les personnes contaminées seront isolées des autres personnes détenues (encore heureux…), elles ne le seront pas des gardien.ne.s qui eux et elles pourront transmettre la maladie aux autres personnes détenues. Mais surtout, d’une violence sans précédent car, au-delà de nos considérations foncièrement anticarcérales, enfermer une personne malade mais surtout innocente dans une cellule de Champ-Dollon ne peut être considéré autrement.
Parce que la détention administrative ne doit plus jamais reprendre,
La détention administrative, soit l’enfermement pour des raisons strictement administratives, ne peut continuer. Aujourd’hui, le virus a vidé ces prisons, plus jamais elles ne doivent se remplir. Un premier pas vers la construction d’une ville basée davantage sur l’accueil que sur l’enfermement et l’expulsion est possible. Vous en aurez fait la preuve. Les avancées humaines en période de coronavirus ne doivent pas être bafouées aussitôt la santé recouvrée, au contraire.
Encore une fois, et plus que jamais, nous exigeons que Genève n’ait plus jamais de prison administrative!
Liberté et Dignité pour tou.te.s!
[1] Extrait de la Conférence de presse du Conseil d’Etat du 20 mars sur le Covid-19
[2] Les renvois forcés sous la loupe de la Commission nationale de prévention de la torture
Inauguration de la prison Curabilis
Article paru précedemment sur www.renverse.co
Le 4 avril 2014, une nouvelle prison a été inaugurée à Genève, à côté de Champ-Dollon. Elle se nomme Curabilis et la concrétisation tardive du projet de “maison pour les psychopathes délinquants mentaux”. Elle servira surtout à faire applique les mesures thérapeutiques et d’internement en Suisse romande.
Quelques remarques sur Curabilis
Curabilis, le nouveau fleuron du système d’enfermement genevois, ce sont 92 places destinées à une population relativement vague : « détenus dangereux », « délinquants souffrant de troubles psychiques » ou « de troubles de la personnalité », « criminels dangereux ayant de lourdes comorbidités psychiatriques », etc. L’établissement, bâti à côté de Champ-Dollon, devrait être inauguré le 4 avril 2014. Dans le contexte actuel — surpopulation carcérale, baston dans la prison, suites de l’affaire Adeline — cette prison médicalisée apparaît comme un nouvel élément incontournable et bienvenu du système carcéral local.
Les plus optimistes nous vendent la chose comme la panacée aux « dysfonctionnements » récents et comme un des outils de dépopulation de Champ-Dollon. Les pessimistes nous annoncent que Curabilis est surpeuplé avant même son ouverture et qu’il faudrait dix autres établissements similaires pour répondre à la demande. Mais personne ne met en question la pertinence d’un tel établissement.
Et si le doute persistait dans la tête d’un député socialiste égaré, les perspectives de croissance liées à ce chantier à plus de 100 millions se sont aisément chargées de le faire disparaître. Comme Mark Müller, alors Conseiller d’État, le rappelait en 2009 : Curabilis est « un grand chantier dont notre économie a besoin, […] une réalisation qui […] fait partie du dispositif pour l’économie et l’emploi de Genève ». Quand le bâtiment va, tout va.
Mais qu’est-ce que Curabilis ? Ou plutôt, qu’est-ce que n’est pas Curabilis ? Et qu’est-ce que cette prison dernière génération peut bien nous enseigner sur notre société dans son ensemble ?
Clarifions immédiatement une chose : Malgré tout le vernis médico-psychiatrique dont se couvre le projet Curabilis — en commençant par son nom, « curable » en latin, cette prison ne servira pas à autre chose qu’à enfermer jusqu’à la mort certains détenus. Comme le dit bien Jean-Claude Ducrot, élu PDC, lors du vote de 2009 du crédit pour la construction de cette prison : « Curabilis est destiné à des personnes extrêmement dangereuses, des détenus condamnés que l’on ne peut relâcher, même au terme d’une peine, parce que l’on doit bien évidemment protéger la société. » Cet objectif de bâtir un mouroir à rebuts de la société est confirmé par les propos du socialiste Alberto Velasco qui justifie, au nom de la dignité (sic), les coûts et la forme pavillonnaire de Curabilis parce que « des personnes, de surcroît médicalisées, vont passer toute leur vie là-dedans. » On aura beau nous parler de réinsertion, de mesures d’internement qui déboucheraient sur une éventuelle liberté, nous ne sommes pas dupes : ces mesures, comme la prison Curabilis, sont des moyens pour l’État de garder des individus sous son contrôle et sa surveillance pour l’ensemble de leur vie. C’est une peine de mort « digne », propre à satisfaire les envies et besoins d’élimination sociale de la démocratie helvétique.
L’urgence à laquelle répondrait Curabilis sent la naphtaline. Contrairement à l’actualité que l’établissement semble cristalliser, Curabilis n’est pas une idée nouvelle, fruit de la théorie médico-pénale la plus avancée. Bien au contraire, les établissement carcéraux psychiatriques sont les poubelles des échecs communs du système psychiatrique et du système carcéral.
Comme les médias et les politiques nous le rappellent souvent, cela fait bientôt 50 ans que cette prison est attendue. C’est en 1966 qu’un concordat, accepté par les cinq cantons romands et le Tessin, prévoit que Genève bâtisse une « maison pour les psychopathes délinquants mentaux ». L’architecte du projet a été choisi en 1971. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que s’ouvre cette « maison ». En 1966, comme en 1890, comme en 2014, comme depuis la naissance de la prison et de l’asile psychiatrique moderne, les établissements d’internement sont surpeuplés et le souci de se débarrasser des prisonniers les plus récalcitrants est toujours à l’ordre du jour.
Le journal Le Temps l’écrivait en 2005 dans un article consacré au projet Curabilis : « Que faire d’un délinquant qui présente des troubles psychiques, celui pour qui la prison n’offre pas les soins adéquats et pour qui l’hôpital ne garantit pas des mesures de sécurité suffisantes ? Cette question revient comme une litanie dans les prétoires. » Nous pourrions ajouter « dans l’histoire » à cette conclusion. Comme les asiles pour incurables dangereux de la fin du 19e siècle, Curabilis n’est qu’un exemple de ces institutions qui visent à résoudre le problème social que posent ceux qui ne veulent pas être redressés par la prison ou qui ne peuvent être guéris par la médecine. Et la résolution de ce problème, c’est l’enfermement sans espoir de sortie, ou le contrôle permanent de la justice sur sa vie.
Un des grands enjeux du débat autour de Curabilis était de savoir si l’on avait affaire à un hôpital ou à une prison. Formellement, notamment grâce au scandale de l’affaire Adeline, c’est l’autorité carcérale qui a pris le contrôle de l’établissement, réservant aux Hôpitaux Universitaires Genevois un rôle secondaire. Nous avons donc bien affaire à une prison. Mais ce débat entre hôpital et prison est absurde. Contrairement à ce que veut nous faire croire Ariel Eytan, responsable de l’unité de psychiatrie pénitentaire genevoise qui affirme que les détenus de Curabilis « bénéficieront de soins au lieu de purger une peine », il n’y a pas de différence entre la peine et la médicalisation sous contrainte. D’ailleurs, l’évaporation de la notion de secret médical quand il s’agit de malades considérés comme dangereux souligne bien à quel point l’on sort du domaine de la sacro-sainte santé pour rentrer dans celui de la répression. C’est le corps social que l’on purge.
Et l’argument magique de cette purge, c’est celui de la « dangerosité ». Main dans la main, les psychiatres et les pénalistes ont mis sur pied des outils pour repérer et quantifier la dangerosité d’un détenu-patient. Comme la plupart des outils de diagnostic psychiatrique, celui-ci repose uniquement sur des statistiques. Si tel détenu répond à un nombre donné de critères dans une liste, alors il est estampillé « dangereux » et fera les frais de l’acharnement de la justice — mesures « thérapeutiques », contrôles incessants. En agissant de la sorte, l’État veut faire croire qu’il maîtrise les éventuels imprévus, qu’il gère au mieux les risques, qu’il prend toutes les précautions possibles. Et ce n’est pas grave si ces mesures réduisent des êtres humains à un enfermement médicamenteux jusqu’à leur mort. Le bonheur de la majorité ne se fait pas sans quelques sacrifices.
Santé, Emprisonnement et Coronavirus : Ouvir les prisons maintenant !
Article précedemment paru sur www.renverse.co
Le week-end du 3-4 avril 2020 a été marqué par deux mutineries à la prison de Champ-Dollon (Genève). Une quarantaine de détenu.e.x.s le vendredi puis une vingtaine le samedi ont refusé de réintégrer leurs cellules. Ce qui est extrêmement courageux compte tenu de la violence des mesures répressives dans un contexte carcéral. Leur mobilisation a été largement soutenue par les autres prisonnier.e.x.s depuis l’intérieur. La révolte réclamait un traitement digne et leur revendication principale était la libération comme moyen de lutte contre la propagation du coronavirus dans la prison. Un dispositif policier important a été mis en place autour et dans de la prison et les participant-e-s du mouvement du samedi se sont vu-e-s enfermer au cachot pour une durée de dix jours.
Bien que la Tribune de Genève ait essayé de nous faire croire qu’iels voulaient simplement jouer au foot, c’est le cri de “Liberté!” qu’on pouvait entendre par-dessus les murs [1]. La couverture médiatique désastreuse [2] de ces événements invisibilise les raisons de cette revendication.
Voici quelques éléments pour comprendre en quoi la libération des prisonnier.e.x.s est une urgence mais aussi certains mécanismes à l’oeuvre dans le refus des autorités d’aller dans cette direction.
#PRISONPATHOGENE
Champ-Dollon est une prison de courtes peines, cela signifie que les détenu.e.x.s y purgent des peines de moins de six mois ou des peines préventives (en attente de jugement).
De plus, c’est une des prisons les plus surpeuplées d’Europe (597 personnes pour 398 places). Une grande partie des détenu.e.x.s y purge une peine pour infraction à la LEtr (Loi sur les étrangers). En effet, depuis les directives Jornot, on enferme à Genève pour simple infraction à la Loi sur les étrangers, c’est-à-dire que l’on considère les sans-papiers comme des criminels; leur “crime” est de se trouver sur le territoire suisse. Ce qu’on appelle les délits “mineurs”, qui sont punis par des peines relativement courtes, sont pour la plupart commis pour des raisons de précarité. De plus, impossible de négocier une caution si on n’en a pas les moyens. Il y a en effet beaucoup de personnes aisées qui évitent les courtes peines de cette manière, comme cet homme d’affaires qui a pu se protéger à la fois de la prison et du coronavirus.
» On voulait le mettre en prison alors qu’il possède une villa ici et propose d’offrir toutes les garanties nécessaires, […] Le prévenu a été libéré le lundi 16 mars moyennant le dépôt d’une caution. » (Le Temps, 03.04.20)
Autrement dit, à Champ-Dollon on enferme surtout les personnes pauvres et les personnes en exil.
Notons que ces proportions ne sont pas le fruit du hasard mais bien les conséquences d’un système judiciaire qui stigmatise et criminalise toujours plus les personnes les plus précaires de nos sociétés. En effet, ce sont bien des choix politiques qui entretiennent le sentiment d’insécurité et le focalisent sur les personnes racisées, noires, pauvres, toxicomanes, en exil, déviantes (etc.). Le but étant de créer une société pacifiée et de maintenir le pouvoir du côté de ceux qui l’ont déjà.
Les personnes en situation de précarité sont aussi plus vulnérables en termes de santé, du fait de nombreux facteurs tels que la difficulté de l’accès aux soins, au repos, à une alimentation de qualité et en quantité suffisante…La prison, de par sa structure même, est un environnement pathogène. Les corps et les esprits y sont soumis à un stress intense, au manque de sommeil, au manque d’exercice physique, à une bouffe dégueu et malsaine, à l’anxiété, à la promiscuité, etc.
Par ailleurs, on note une proportion de personnes atteintes par des maladies infectieuses (HIV, hépatites, tuberculose) plus forte qu’à l’extérieur (OMS, 2009). Le traitement des maladies chroniques est compliqué et mal assuré (diabète, hypertension artérielle, broncho-pneumopathie chronique obstructive).
Si en temps normal la prison comporte des dangers pour la santé, ceux-ci deviennent dramatiques lors d’une situation de pandémie. Ce qu’admet d’ailleurs le chef du service de médecine pénitentiaire de Genève, Hans Wolff, au sujet de sa décision d’abaisser l’âge-risque face au coronavirus à 60 ans :
» à âge égal, les détenus montrent plus de maladies en raison d’un cumul de mauvais déterminants pour la santé. »
Il admet aussi que la surpopulation carcérale est un facteur aggravant. Ce qui ne l’a pas empêché d’accepter le transfert à Champ-Dollon de 5 personnes venant de Frambois, dont une contaminée par le cornavirus (letemps.ch 23.03.2020). Ces transferts sont en eux-mêmes une honte puisque Frambois est un centre de détention administrative, c’est-à-dire qu’on y enferme les personnes en attente de renvoi afin de pouvoir les mettre plus facilement dans un avion. Ces personnes se retrouvent alors, sans aucune raison, dans un établissement d’exécution de peine. Elles subissent du même coup une détérioration de leurs conditions d’enfermement, d’une “détention administrative” en attente de renvoi à l’enfermement dans une prison pénale.
Les directives du conseil fédéral face au coronavirus sont les suivantes : Porter un masque, porter des gants, ne pas se rassembler à plus de 5 personnes, garder une distance de 2 mètres avec les autres, ne pas sortir de chez soi. Des mesures impossibles à respecter dans un lieu qui enferme six personnes dans une cellule.
#JUSTICEANTISANITAIRE
Les juges et les procureurs font le choix de condamner, de transférer et d’enfermer au lieu de se concentrer sur les dossiers de libération conditionnelle. Il semblerait d’ailleurs que l’unique chose qui ait vraiment changé soit le ralentissement des procédures d’appel et de mise en liberté provisoire (le temps.ch 03.04.2020).
Alors que prisonnier.e.x.s, avocat.e.x.s (odage.ch) et personnes de soutien martèlent la nécessité d’ouvrir les prisons, la justice, elle, fait la sourde oreille “Personne ne sort qui ne devrait pas sortir” (Olivier Jornot, procureur général). On croit comprendre qu’elle attend que la situation devienne dramatique, avant de prendre cette seule mesure préventive réellement efficace.
Ainsi le choix du système judiciaire de ne pas libérer les personnes enfermées entretient et alimente les aspects pathogènes de la prison, mettant en danger des vies.
C’est bien joli de mettre en place plein de mesures contre la pandémie, si l’État maintient en même temps des pratiques anti-sanitaires et entretient des situations extrêmement propices à la propagation du virus.
Alors que beaucoup de pays ont entrepris de libérer des prisonier.e.x.s (84 333 libérations pour six pays), que l’ordre des avocats de Genève demande également d’aller dans ce sens, que le canton de Berne a pris des mesures pour interrompre certaines peines et libérer toutes les personnes qui sont en semi-détention, Genève quant à elle maintient son système carcéral sans concessions.
La situation de pandémie dans laquelle nous sommes, fait ressortir les inégalités sociales et de classes : ce sont toujours les mêmes personnes qui sont enfermées, ce sont toujours les mêmes vies qui sont sacrifiées.
Malgré les risques que comprend la répression d’une mutinerie, malgré l’angoisse due à la pandémie, malgré la dureté des conditions de vie en prison, les détenu.e.x.s de Champ-Dollon et de plusieurs autres lieux d’enfermement en Europe, trouvent la force et le courage de se battre pour leurs conditions de vies et pour la liberté.
Force à elleux.
Solidarité avec toutes les personnes enfermées!
Liberté pour tou.te.x.s les prisonier.e.x.s!
[1] Lire à ce sujet https://renverse.co/Revoltes-a-Champ-Dollon-2522
[2] Lire à ce sujet https://renverse.co/La-TdG-au-service-de-la-repression-2524
Quand le « tout carcéral » se casse la gueule
Article précedemment paru sur www.renverse.co
La question des prisons semble être à l’ordre du jour dans le débat public en cette rentrée 2018. C’est d’abord le collectif Prenons la Ville et ses ami.e.s qui, samedi 25 août, ont décidé d’occuper Porteus. Sur ce bâtiment, entre tags et banderoles, on peut lire : « nous construisons un monde sans prisons » ou encore « crève la taule ». Que l’on ne s’y trompe pas ce ne sont pas là les phrases de quelques jeunes « rêveurs et rêveuses », bien au contraire.
Les prisons sont faites à l’image de nos sociétés. Elles sont l’outil répressif d’un État raciste et bourgeois qui enferme, isole et tente de briser les personnes à qui la société n’a pas laissé de place et celles qui refusent d’entrer dans ses schémas étouffants et violents. Iles veulent que la ville soit leur ; une ville de flic.esse.s, de maton.ne.s, de banquier.e.s, de proc, de juge et de politicien.ne.s et utilisent tout leur pouvoir pour enfermer ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, se sont élevé.e.s contre eux, contre leurs valeurs, contre leur monde. Alors qu’iles les appellent « des voleur.euse.s » nous considérons qu’illes redistribuent la richesse que l’élite s’accapare illégitimement. Iles les appellent des « illégaux ». Mais les frontières sont comme les prisons, elles n’existent que pour créer les « autres » et c’est cette distance créée de toute pièce par cette élite et son bras armé qui leur donne l’impression d’être supérieurs. Même si le mot d’ordre de la politique genevoise en matière carcérale est de s’acharner sur les « petits délinquants », iles diront qu’en prison il y a aussi des meurtriers et des violeurs et iles ont raison. Mais, la prison, et c’est triste de devoir le rappeler encore aujourd’hui, ne résout rien. Elle précarise les enfermé.e.s, elle ne répare en rien les victimes ou leur proche ; elle venge, simplement, de façon basse et peu honorable. Bref, vous savez, ces « autres », illes sont des frères, des sœurs, des enfants, des parents, des proches, des amoureux, des amoureuses ce sont des personnes qui comptent dans le cœur de beaucoup de monde et croyez-moi, la roue tournera.
Maudet voulait faire de Porteus une énième prison. Au lieu de ça, des personnes occupent encore aujourd’hui les lieux et y développent des discours et des pratiques en coupure radicale avec le projet d’origine. Maudet, il ne faut pas trop lui en demander ; les prisons c’est à peu près tout ce qu’il sait faire. Mais cette fois, qui sait, il se verra peut-être contraint de lâcher l’affaire. En effet, le 30 août, le Ministère public a saisi le Grand Conseil pour demander l’autorisation de poursuivre Maudet pour le chef d’inculpation « d’acceptation d’un avantage ». Il aurait menti dans son histoire de voyage à Abu Dhabi. Il faut avouer que l’idée qu’il soit peut-être condamné et surtout qu’il soit peut-être forcé de démissionner est d’un certain réconfort. Vas-y Maudet, n’hésite pas, dégage ! Tant d’années passées à détruire la vie de tellement de personnes à la tête d’une police violente et raciste, en maître de l’expansion carcérale, en tant que chef d’un service, l’OCPM, qui expulse impunément, à l’origine du projet de construction du centre fédéral de renvoi prévu au Grand-Saconnex [1], et j’en passe.
Mais cette potentielle démission n’est pas la seule bonne nouvelle de cette dernière semaine. Si Maudet est en ce moment secoué par ce scandale, parallèlement, le projet de construction de la prison des Dardelles – un autre de ses bébé – est tombé à l’eau jeudi passé au Grand Conseil [2]. Les Dardelles c’est la nouvelle prison de 450 places qui devait être construite à côté de Champ-Dollon. Pour justifier un projet d’une telle envergure, Maudet et ses collègues, prétendent que seule cette construction permettrait de désengorger Champ-Dollon, surpeuplée de façon « endémique » nous dit-on. Il n’y a donc pas que sur son voyage que Maudet a menti. On ne nous fera pas croire, que lui, Monsieur tout-sécuritaire, s’inquiète de la surpopulation carcérale dont il est un des principaux responsables. Sans compter que l’on ne sait que trop bien que si une autre prison était construite dans une ville gouvernée par nos dirigeant.e.s, elle ne tarderait pas à être surpeuplée elle aussi. L’enfermement est une décision politique. La surpopulation carcérale actuelle n’est que le résultat de la politique pénale en vigueur qui, elle aussi, a ses coupables.
[1] Pour aller plus loin : Pas de centre fédéral au Grand-saconnex et Ce qu’il faut savoir sur les centres-fédéraux
[2] N’oublions pas que les Dardelles c’est un projet qui tombe pour des questions de budget, pourtant ce n’est pas les arguments qui manquent contre la prison. Bref à nous de créer d’autres discours contre la prison, contre les Dardelles, loin des logiques politiciennes.